mardi 10 mars 2009

Perdue ou gagnée ? Akhalgori, Géorgie – Léningor, Ossétie du Sud (Article caucaz.com)

Par Nicolas LANDRU à Akhalgori/Leipzig
Paru dans caucaz.com le 24/01/2009


La région d'Akhalgori, appelée par les Ossètes de son nom soviétique Léningor, était la seule de l'ancien Territoire Autonome d'Ossétie du Sud de l’URSS a avoir été épargnée par le conflit du début des années 1990 entre Géorgiens et Ossètes. Elle est restée sous le contrôle indiscuté de la Géorgie. Après la guerre d'août 2008 et la débâcle de l'armée géorgienne, des milices sud ossètes en ont pris le contrôle, forçant la police géorgienne à se retirer et une bonne partie des habitants Géorgiens à l'exil.


Le district d’Akhalgori s’étend sur les contreforts du Grand Caucase, dans la haute vallée du Ksani, rivière qui se jette dans la Koura en amont de Mtskheta. Physiquement séparé du reste de l'Ossétie du sud par un massif montagneux et aisément reliée à la région de Mtskheta par la route, il était en majorité peuplé de Géorgiens avant le conflit de 1990-91.

Des Ossètes y vivaient également, surtout dans les villages au-dessus de la ville d’Akhalgori. Toutefois, même si le régime sud-ossète de Tskhinvali affirme que les Ossètes y ont été spoliés et forcés à l'émigration par les Géorgiens, surtout pendant la présidence de Zviad Gamsakhourdia en 1991, il semble que les deux communautés ont par la suite continué à y vivre dans une relative harmonie.

1990-2008 : une région à l’écart du conflit séparatiste

Isolé de la capitale sud-ossète Tskhinvali et son ébullition politique, le district sud ossète d'Akhalgori n'a donc pas connu d'embrasement armé. Il est resté sous contrôle du gouvernement géorgien et a été incorporé à la région administrative de Mtskheta-Mtianeti. De la sorte, le gouvernement géorgien lui scellait un destin détaché du reste de l’Ossétie du Sud : les zones du Territoire Autonome d’Ossétie du Sud ayant fait l’objet de combats et étant restés sous contrôle géorgien jusqu’en août 2008 ont été incorporés à la région administrative de Gori, la Chida Kartlie. Mais Akhalgori devait tout simplement oublier son passé au sein du Territoire Autonome et s’intégrer normalement dans le nouvel Etat.

Les années 1990-2000 devaient être plutôt propices au district, qui s’est trouvé à l’abri des multiples altercations entre forces géorgiennes et milices sud ossètes. L'usine de bière Lomissi, l’une des trois plus grandes de Géorgie, fournissait des emplois à la majorité de la ville d’Akhalgori (6000 habitants). Le reste du district, rural et montagneux, a vécu comme la plupart des régions géorgiennes d'agriculture basique.

Le gouvernement géorgien avait même réparé la route menant de Mtskheta à Akhalgori en 2007-2008, intégrant un peu plus avant le district aux infrastructures géorgiennes. L'attraction touristique d'Akhalgori, le palais médiéval des Princes du Ksani (parmi les plus puissants princes géorgiens aux X-XIIème siècles, restés importants jusqu'au XIXème), également musée d'histoire et d'art, était en train de devenir une destination appréciée des Tbilissiens, pour les excursions scolaires par exemple.

La guerre d’août 2008 : le prix de la contre-attaque

Mais en août 2008, l’attaque des troupes géorgiennes sur Tskhinvali et les régions sud ossètes sous contrôle du gouvernement séparatiste, immédiatement suivie d’une fulgurante contre-attaque russe, a sonné le glas de cette relative tranquillité. Cette région qui avait traversé les heures les plus sombres de l'histoire récente du pays sans de blessure majeure a été prise dans la tourmente de la déroute de l’armée géorgienne.

Fortes de la victoire russe en Ossétie du Sud et en Chida Kartlie, des milices sud ossètes ont "passé la montagne" par le col menant à Tskhinvali, uniquement franchissable en 4x4, et ont chassé la police géorgienne qui stationnait à Akhalgori. L'armée géorgienne, qui avait de toute façon abandonné ses positions en Géorgie centrale pour se replier autour de Tbilissi, n'était pas stationnée dans le district. Un check point est à présent installé quelques kilomètres au sud d'Akhalgori, entérinant le contrôle ossète du district et la perte de celui-ci pour la Géorgie.

Tbilissi accuse l'armée russe d'avoir aidé les milices sud ossètes à prendre position à Akhalgori et participé au nettoyage ethnique. Selon la Géorgie, des unités de l’armée Russe y seraient toujours stationnées. En octobre, l’OSCE confirmait le retrait des troupes russes des régions géorgiennes autour de l’Ossétie du Sud, mais dénonçait leur maintien à Akhalgori.

Akhalgori définitivement perdue pour la Géorgie ?

Les Géorgiens voient une intention des Russes d’incorporer Akhalgori au reste du territoire séparatiste sud ossète. Le projet déclaré de construire une route reliant Tskhinvali et Akhalgori, qui ne peut se réaliser qu'avec une assistance technique russe, est en tête des chefs d'accusation de Tbilissi à l'encontre de Moscou.

Militairement vaincue, la Géorgie a en effet peu de chances de recouvrer le district, à moins que celui-ci ne fasse l’objet d’une contrepartie lors de négociations entre les protagonistes. Le fond de la vallée étant un cul-de-sac, la région d’Akhalgori ne représente pas d’intérêt stratégique très important, pas plus qu’économique. Les institutions et infrastructures de la république séparatiste n’y sont pas installées et le nombre d’Ossètes y vivant est assez restreint. Il ne serait donc pas impossible, dans des négociations qui ne seraient pas entièrement défavorables à la Géorgie, qu’Akhalgori représente pour le parti osséto-russe une monnaie d’échange, plus qu’un but territorial en soi.

Loin de cette hypothèse, le contrôle osséto-russe est cependant bien établi à Akhalgori. Le 27 novembre 2008, le président géorgien Mikhaïl Saakachvili tentait d'emmener son hôte le président Polonais Lech Kaczynski à Akhalgori, malgré le check point. Mais cette sombre affaire s'est terminée en un demi-tour, le parti géorgien affirmant qu'on avait tiré sur la voiture transportant les présidents, les autorités sud ossètes niant ces accusations et le président polonais devant faire face à un scandale dans son pays, pour s'être exposé sans mesures de sécurité dans une entreprise non prévue à son agenda et peu en règle avec les usages d'un président en visite.

A côté de cet étrange épisode, Tbilissi a sommé Moscou à plusieurs reprises d’évacuer le district d’Akhalgori. Pour l’heure, le gouvernement géorgien ne peut guère faire plus face à la mainmise osséto-russe sur la région que des sommations sans moyens de coercition ou des tentatives d’attirer l’attention de la communauté internationale.

Une population menacée

Un bon nombre des habitants ethniquement géorgiens d'Akhaglori a été chassée par les milices ossètes ou s’est enfui dans le courant du mois d’août pour trouver refuge à Tbilissi ou dans d'autres camps de Géorgiens déplacés d'Ossétie du Sud après la guerre.

Fin novembre, l’organisation des Droits de l’Homme Human Rights Watch signalait des exactions des milices ossètes sur les Géorgiens « ethniques » à Akhalgori. Spoliations, pillages, agressions physiques, la population semble à la merci de bandes armées. Les enquêteurs ont aussi donné le chiffre de 136 écoliers restant sur 236 dans une école de la ville, ce qui peut donner une idée du nombre de personnes ayant fui leurs foyers. Human Rights Watch a exhorté la Russie, en tant que pouvoir d’occupation, à veiller à la cessation de ces exactions.

Hormis quelques enquêtes d’organisations des Droits de l’Homme, il est encore très difficile d'établir précisément ce qui s'est passé et se passe à Akhalgori depuis que les milices sud-ossètes en ont pris le contrôle. Il est en tous cas certain qu'il y a eu un exode assez important des populations géorgiennes, qui constituaient la grande majorité du district avant la guerre, et que les activités préalables que connaissait la ville ont en grande partie été interrompues. « Léningor » est de nouveau en Ossétie du Sud, sans que les projets des nouveaux maîtres des lieux concernant le district et la ville ne soient clairs.

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